Friday, 11 December 2020

L'Envers en Soi

C’est l’heure des puisatiers

De l’engourdissement des chiens

Qui ont veillé

Des bêtes jappent qui guettaient

L’éveil rauque des chameliers

Le thé coule qui fut

Chauffé hors les tentes

Sur le jabot de l’aube

Et je suis là, dans l’erg, l’oasis

Etale une flambée de plumes

J’ai passé la nuit dans la jeep

Sous la question monumentale du ciel

J’ai du chercher au-delà de la quiétude

Du troupeau

Des musiques tendues sur les feux du désert

Des chants interrompus

Par un chuchotement 

De comètes


Et puis j’ai répondu

Des mots me sont venus que je ne voulais pas

Des mots de rythme sur les pistes,

De villages, de sources,

Des mots d’aurore et de soleil au lendemains de toi

Et des trilles berbères à ton éloignement

J’ai répondu des mots de trêve aux caravansérails,

Des paroles de joie au sortir des sables,

Des soupirs d’aise à l'ombre et loin de la fournaise

Qu’est notre amour


Et j’ai parlé de désamour

Etrangement, ce mot vient et s’installe comme une tache

A l’envers de soi sur ma peau,

Marque son auréole où l'étiage a changé la moirure

Comme un cercle sur l’eau rejoindrait un rivage

Et rien que cette étole qui bouge à mes épaules

Cette chape sans poids autre

Que son envergure

D’envol

Suffit à me cerner,

Bâillonner, 

Ligoter

Et c’est en louve que je lève ma narine aux aguets

C’est des hordes quittées dont je perçois l’odeur

Dans celle plus tenace des brebis.

Figés aux mailles depuis longtemps tissées de l’instinct,

Ces relents de suin donnent à mon épaule

Un geste long de dune

Vers l'enjambée crissante des caravanes

Aux points d’eau.


Des chevriers sont là

Qui ont porté leurs bêtes nouveau-nés,

Des sources naissent à fleur de pierre où le sabot résonne

Et la palmeraie brille sur l'écaille des sables

C’est l’heure incandescente et rose des prières. 


Dans la claire-voie des cours

Un vol de tourterelles fond sur la boutonnière

Des fontaines

Et l’eau perle aux aiguières verseuses d’ablutions.

D’où vient que tout s’envole où jaillissent les saules, 

Tout, 

De tes inconstances

Jusqu’à ma déraison?


J’attends dans la fraîcheur humide des mosquées

Les rythmes oubliés

Dans l’éclaboussement de nos incantations.

D’où vient que je m’aligne aux côtés des fidèles

Et tourne vers le ciel

La paume de mes mains?

Dis-moi de quelle ogive attendre l’éloquence?


L’heure ouvre son échoppe où l’étal a fermé

D’une autre saunaison.

Quelle autre fulgurance

Naîtra de ce commerce

Où le boulier crépite et la balance penche

Irrévocablement

Sous la manne des jours?


C’est l’heure infranchissable et brève des retours

Un minaret s'élance en turban de faïence

Et des sources s'étirent

Sous le torchis des murs

J’ai retrouvé la jeep brûlante de lumière,

Une nuée d'enfants

Des petits sur les sièges et des grands au volant

Et des rires aux portières

Et mon étonnement 

De la joie retrouvée

Et le jardin fané où tu étais l’amant

Ses ruisseaux qui se taisent

Et ses bassins vidés qui se renouvelaient

Dans leur vasque poreuse


Tu vas te réveiller

Cligner des yeux, peut-être,

En ne me trouvant pas 

Dans la suite du rêve

Où je n’existais pas


C’est l’heure-empreinte, l’heure volée,

l’heure-envergure envolée,

A l’envers de toi sur ma peau


La tente est bleue dans l’âtre pétrifié du jour

La chaleur en-allée suinte au madrépore des cruches


La nuit trébuche

Sur l’argile des lampes



Sylvie Mochiri Miller

No comments:

Post a Comment